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  3   - Allô, papa?   L’inquiétude s’intensifie dans la jeune voix.   - Papa? Qu’est-ce qui t’est arrivé?   Le visage tuméfié du père apparait à l’écran. On dirait qu’il a été dans un accident de voiture.   - Charlotte, écoute-moi, c’est important.   Même sa voix n’est pas normale. Papa solide, papa pilier; sa voix tremble, vacille comme elle ne l’a jamais entendue.   - Papa, qu’est-ce qui t’es arrivé?   - Charlotte, répète-t-il encore, et la jeune fille remarque que ses dents sont cassées, et qu’il n’arrive plus à prononcer son nom comme il faut.  La panique s’empare d’elle.  - Tu vas faire comme je te dis. Il faut venir me chercher.   La jeune fille est paniquée et ne peut que remarquer l’accent inhabituel de son père. Elle appuie un peu sur les boutons de son iphone maladroitement jusqu’à Notes.  - Je t’écoute papa. Dis-moi où. Fait-elle courageusement. As-tu besoin d’une ambulance?   - Non! Répond-il avec une légère pointe d’affolement. Non, pas d’ambulance. Pas de police. C’est im

Joyce

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 1  « Aylmertree est un véritable petit Fantasy Island et nous sommes honorés de le servir, patrouillant avec ferveur jour et nuit afin de le garder sain, propre et pur à l’image de ses résidents. Nos membres sont dûment entrainés à observer respect et déférence envers les seniors et membres propriétaires de la communauté, sans hésiter toutefois à montrer les dents et appliquer toute la force nécessaire envers les malfrats, errants, itinérants et/ou autres intrus indésirables qui chercheraient à en déranger l’ordre. Nous sommes particulièrement fiers des efforts en ce sens de nos policiers visant à aider les indigènes à rester dans les enceintes de leurs réserves et à les éduquer afin qu’ils comprennent l’importance de la limite ».   Sgt Geoff Pearson   Chef de police   Aylmertree        - Qu’est-ce que c’est que ce paquet de sottises?        Le Sgt Joyce Dick a lancé le pamphlet luisant sous les yeux de l’agent Shamus Listerbie, et maintenant elle attend sa réponse, le fixant de son

Crue - Prologue

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       Le petit matin se lève. Il s’étire, s’étend, s’étale tant bien que mal sous la calotte métallique du ciel de novembre. Une lame de nuages lourds jette son ombre sur la baie tranquille qui dort encore; de la plus haute branche d'un chêne, un aigle à tête blanche veille, immobile. De là où il est, le rapace embrasse du regard l’entièreté du paysage : la mer, la verdure ensommeillée entre les pignons, les jardinets que découpent des rues soignées qui bordent la plage d’émeraude et d’argent.       Les plages sont des lieux épouvantables pour les petits animaux. Particulièrement lorsqu’ils sont régurgités par une mer trop pleine sur une grève caillouteuse sans refuge. La marée basse leur est alors sentence de mort. Il faut moins de cinq minutes aux étoiles de mer et à la blanchaille - à peine un peu plus, peut-être, aux coquillages pour rendre l’âme, asphyxiés. Et ceux qui bougent encore, qui se débattent à l’air libre pour rejoindre la matrice salée qui les a cruellement abandon

Crue - prologue

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     Le petit matin se lève. Il s’étire, s’étend, s’étale tant bien que mal sous la calotte métallique du ciel de novembre. Une lame de nuages lourds jette son ombre sur la baie tranquille qui dort encore; sur une haute branche, un aigle à tête blanche veille, immobile. De là où il est, le rapace embrasse du regard l’entièreté du paysage : la mer, la verdure ensommeillée entre les pignons, les jardinets que découpent des rues soignées qui bordent la plage d’émeraude et d’argent.       Les plages sont des lieux épouvantables pour les petits animaux. Particulièrement lorsqu’ils sont régurgités par une mer trop pleine sur une grève caillouteuse sans refuge. La marée basse leur est alors sentence de mort. Il faut moins de cinq minutes aux étoiles de mer et à la blanchaille; à peine un peu plus, peut-être, aux coquillages pour rendre l’âme, asphyxiés. Et ceux qui bougent encore, qui se débattent à l’air libre pour rejoindre la matrice salée qui les a cruellement abandonnés, sont vite pico

Emmanuelle

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  "Il s'est penché sur son humble servante ; Désormais, tous les âges me diront bienheureuse."        L’imagination tentait de jaillir.       Il ne s’agissait pas d’une très grande lutte.       Pour l’instant, quelques détails la retenaient à peine en ce bas monde : une route enneigée déployée voluptueusement dans la nuit creuse de novembre, la danse énervée des flocons devant les phares, les lumières de la ville et des véhicules clignotant tout autour. Mais c’était tout. Pour elle, le temps s’était suspendu. Autre chose était en train de se passer entre les quatre portières de la petite Honda d’occasion en mouvement sur la promenade achalandée séparant Ouatane de Dull. Un hautbois sournois, d’abord. Plein de paix, de bonne volonté et d'amour sensuel; il s’était mis à suinter entre les quatre vitres crinquées serré pour garder l’air froid au dehors. Venait ensuite ce qui ne pouvait être que le soupir d'un ange. Caressant le dedans de l'oreille avec la plus gra

Où l'agente Ouimet se rend sur le lieu de travail de la victime

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     Le bureau de Léon Clephte se situait tout au bout d’un de ces corridors sans âme de taille standard comme on en trouve dans la plupart des institutions d’apprentissage, baignés de la lueur blanche de tubes néons qui ne s’éteignaient jamais, sauf les fins de semaines et les jours fériés, et alors, une lampe de poche était nécessaire pour s'y déplacer, puisque aucun rayon de dehors ne se glissait jamais jusque-là; le genre de passage où chaque porte qui s’ouvre ou se ferme claque et pince l’oreille cruellement. Chaque pas de talon aussi. Mais de nos jours, on porte de moins en moins de talons. Surtout à l’école. L'agente Véronique Ouimet avait remarqué que la plupart des étudiants, et même le personnel enseignant, avaient adopté le port du tennis blanc, plat et étonnamment toujours propre. Le genre qui ne fait pas de bruit.       En suivant l'enfilade de murs fatigués, l'enquêteuse songeait à l'injustice que réservait la vie, parfois. La veille, le vieux professe

Il n'y aura pas de prochaine fois.

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« Qui ça, moi? »      Hubert de Vimy voit un instant passer entre les piles de bacs bleus et les poutres du plafond de la cave le regard noir de sa femme. Il soupire.         - Oui, toi aussi, chérie.        - Comment ça, « aussi »? Ne me dis pas que tu lui as accordé un entretien?       Cette fois, la tête entière de Diane apparaît dans la demi lueur. Hubert recule d’un pas. Il savait que ça se passerait mal.        - Espèce d’idiot! Je pensais qu’il était clair qu’on ne parlerait pas aux journalistes, enfin, Hub! Tu veux nous mettre dans le pétrin ou quoi?       Hubert de Vimy ferme à demi les yeux avec la résignation de celui qui voudrait ralentir le rythme tout en sachant que le tsunami arrive.        - Tu sautes toujours aux conclusions.        - Non, pas du tout, c’est toi qui viens de me le dire. Puh!        - Ce n’est pas un journaliste. C’est un enquêteur. De la GRC.        - Tu as vu son badge?        - Non, mais j—        - Alors c’est un journaliste! Point. Il faut un