Il n'y aura pas de prochaine fois.

« Qui ça, moi? »

     Hubert de Vimy voit un instant passer entre les piles de bacs bleus et les poutres du plafond de la cave le regard noir de sa femme. Il soupire.   

     - Oui, toi aussi, chérie. 

      - Comment ça, « aussi »? Ne me dis pas que tu lui as accordé un entretien? 

     Cette fois, la tête entière de Diane apparaît dans la demi lueur. Hubert recule d’un pas. Il savait que ça se passerait mal. 

      - Espèce d’idiot! Je pensais qu’il était clair qu’on ne parlerait pas aux journalistes, enfin, Hub! Tu veux nous mettre dans le pétrin ou quoi? 

     Hubert de Vimy ferme à demi les yeux avec la résignation de celui qui voudrait ralentir le rythme tout en sachant que le tsunami arrive. 

      - Tu sautes toujours aux conclusions. 

      - Non, pas du tout, c’est toi qui viens de me le dire. Puh! 

      - Ce n’est pas un journaliste. C’est un enquêteur. De la GRC. 

      - Tu as vu son badge? 

      - Non, mais j— 

      - Alors c’est un journaliste! Point. Il faut un peu plus de finesse que ça, sinon, on ne s’en sortira pas!

      Sur ces derniers mots, elle s’empare d’une boîte particulièrement lourde et la fait tomber sur une autre, dans un clac furieux. 

      - Oh Diane! Le vieil homme s’approche de son épouse et lui prend doucement les mains. 

      - Tu ne t’es pas fait mal? Elle les retire sèchement. 

      - N’essaie pas de changer de sujet. 

      Deux enjambées la séparent des éviers rustiques qui sont comme de vastes bassins tout tachés, où l’eau qu’elle fait couler sort dans un cri grinçant de tuyauterie agonisante. 

      - Je ne lui parlerai pas. Tu lui as dit quoi? 

      Le savon de Marseille dont elle se frotte vigoureusement les avant-bras produit une mousse sombre qui tombe en grosses mottes sur le sol. Elle répète sa question. 

      - Tu lui as dit quoi, Hubert? 

      - Mais rien! Bêle-t-il. Rien qu’ils ne savent déjà. La date, l’heure à laquelle on la vue la dernière fois, ses habitudes, son petit problème de médicaments… 

      - Que c’est une droguée, tu veux dire. Tu lui as dit que ce n’était pas la première fois qu’elle nous faisait le coup? Et tu lui as dit, pour Louis? 

      Son mari hoche de la tête. 

      - Quoi d’autre? 

      - Qu’elle finit toujours par revenir. Qu’il est avec nous. Chérie, ne t’en fais pas. Ce n’est qu’une formalité. 

      Diane de Vimy s’essuie en lui jetant un regard empli de mépris. 

      - Merde. Il baisse la tête. 

      - Ils ne font que chercher notre fille, ce qui est normal. 

      - Et ils ne la trouveront pas! Et après, quoi? 

      Elle s’approche de son mari. Celui-ci se mord la lèvre sans répondre, et son attitude résignée et badaude la met hors d’elle. Son visage est maintenant à quelques centimètres du sien. 

     - Abruti… murmure-t-elle, si tout foire, on saura qui blâmer.  

     - Mais ça ne foirera pas. 

      Elle jette un regard vers les bacs en plastique bleus amassées qui forment un mur sur le côté de la pièce, et dont une partie disparait dans l’obscurité. Hubert suit son regard. Il sait à quoi elle pense. 

      - Ne crains rien. Tu es géniale. Personne ne soupçonnerait… 

      Diane soupire d’exaspération. 

      - Il n’y a pas que les journalistes, Hub. Je n’aime pas du tout ce type qui vient fouiner. Je ne peux pas croire que tu l’aies laissé entrer. Il a vu le salon et tout. La prochaine fois, tu demandes à voir une identification… 

      Elle se dirige vers les escaliers, s’arrête un instant, se ravise. 

      - Non. Mieux que ça. Il n’y aura pas de prochaine fois.



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