Où l'agente Ouimet se rend sur le lieu de travail de la victime
Le bureau de Léon Clephte se situait tout au bout d’un de ces corridors sans âme de taille standard comme on en trouve dans la plupart des institutions d’apprentissage, baignés de la lueur blanche de tubes néons qui ne s’éteignaient jamais, sauf les fins de semaines et les jours fériés, et alors, une lampe de poche était nécessaire pour s'y déplacer, puisque aucun rayon de dehors ne se glissait jamais jusque-là; le genre de passage où chaque porte qui s’ouvre ou se ferme claque et pince l’oreille cruellement. Chaque pas de talon aussi. Mais de nos jours, on porte de moins en moins de talons. Surtout à l’école. L'agente Véronique Ouimet avait remarqué que la plupart des étudiants, et même le personnel enseignant, avaient adopté le port du tennis blanc, plat et étonnamment toujours propre. Le genre qui ne fait pas de bruit.
En suivant l'enfilade de murs fatigués, l'enquêteuse songeait à l'injustice que réservait la vie, parfois. La veille, le vieux professeur, qui en était à très exactement six mois, une semaine, trois jours, onze heures et trente minutes de sa retraite avait été retrouvé sans vie dans le cagibi de l'imprimante, la main encore enfoncée dans une pile de consignes d'examen, aussi raide qu'un balai en vente au rayon des ramasse-poussières du supermarché; il avait la langue sortie, pendant lamentablement sur une joue bleuie, et les yeux écarquillés comme des billes hagardes prêtes à sauter de leurs orbites. C'était une petite précaire d'anglais qui avait fait la macabre découverte, alors qu'elle était entrée en catimini à sept heures pour récupérer une pile de copies d'urgence clandestinement imprimées en trente exemplaires, malgré le règlement qui stipulait noir sur blanc qu'au-delà de dix feuilles, la reproduction soit effectuée strictement par Fabien au Service d'impression, photocopie et numérisation du Collège, convention collective oblige. Or, pour ce faire, il fallait soumettre une réquisition à cet effet, en format RTF et PDF, au moins sept (7) jours ouvrables à l'avance, par réseau intranet, clause 6, alinéa 4 du Règlement interne et code de conduite. Mais Rebecca, qui avait hérité la veille du remplacement d'urgence d'une collègue, ne jouissait guère de ce luxe bureaucratique. Et comme l'accès à la photocopieuse lui était bloqué, il ne lui restait que cette solution de système-D, c'est-à-dire système débrouille qui, ce matin fatidique-là, s'était transformé contre son gré en système-D - système dépouille. La pauvre petite dame se trouvait à présent en unité d'intervention d'urgence, sous calmants, et la classe avait été, en fin de compte, annulée. Et les trente copies illégales gisaient à présent, vierges, au fond d'un panier de recyclage.
Ils atteignirent enfin le local 2371-b, et le garde de sécurité déverrouilla la porte. L’inspectrice s'introduisit à l'intérieur; se tournant, elle eut un léger sursaut.
- Tiens, tiens. On se recroise encore, fit la sergente-détective.
- Euh.. mouif… entendit-on bruire du fond du local.
Le gardien pencha la tête par la porte pour voir à l’intérieur à son tour. Il aperçut ce prof à barbe hispter, Chopineau, celui qui d’habitude promenait sentencieusement son chignon et ses petites lunettes rondes d’intello à travers les couloirs et les cages d’escalier de l’établissement à toute heure comme si celui-ci lui appartenait. Il avait l’air moins fier, en ce moment, terré dans la concavité froide du local 2371-b, dévisageant Ouimet avec un air de chevreton tremblotant aveuglé par l’éclat des phares d’une voiture chevricide.
- Est-ce que je peux vous demander ce que vous faites dans le bureau de ce pauvre Clephte? S’étonna Ouimet.
- Je… c’est-à-dire… Chopineau darda un œil inquiet vers l’agent de sécurité, surpris par l'irruption des deux individus en uniforme. Je ne m'attendais pas… mais… Il se racla la gorge. J’étais venu récupérer des notes de comité groupe-cours. Je… je les avais laissées à Léon… j’en avais besoin… Il jeta encore un regard en direction du gardien. … enfin, je n’ai pas voulu pas déranger. C’était plus simple d’aller les récupérer moi-même.
- Qui vous a fait entrer ?
Cette fois ce fut Chopineau qui fut surpris. Il les regarda tour à tour.
- Mais j’ai une clé. Je l’ai depuis ce remplacement à long terme que…
- Vous voulez dire que vous ne l’avez jamais remise? S’exclama le gardien. Selon le règlem…
- Bon, bon, interrompit alors Ouimet d’un ton exaspéré.
Elle n’avait que peu de patience pour la petite cuisine protocolaire des sûretés institutionnelles qui, de par la capitale, semblait envahir comme un fléau galopant tout lieu public de quelque importance qu’il fût et empoisonner la vie de tous ceux et celles qui y avaient le moindrement à faire.
À ce moment, un bip inhabituel se fit entendre. L’appel émanait de la ceinture du gardien qui se pencha aussitôt vers l’appareil, y pitonnant mécaniquement.
Il n’en fallait pas plus à Chopineau pour profiter de l’occasion de s’extirper. Il coula entre la détective et la porte, un paquet de feuilles contre la poitrine, se déplaçant à la manière d’une anguille.
- Madame l'agent. Simon.
-Hep, hep, hep, fit Ouimet, l'attrapant par la manche. Rien ne doit sortir d'ici.
Le professeur enchignonné soupira, rentrant à nouveau dans le local pour y déposer, à contre-coeur, la pile de feuille sur un bureau de mélamine.
Il s’éloignait, le fond de son pantalon-fuseau moutarde, serré de la cheville au genou, baillant à mi-fesses comme un sac de patates du marché menaçant de vomir son contenu à tout moment. Hé bien, pensa Ouimet, je suis peut-être vieux jeu, mais il y a des modes que je n’arriverai jamais à saisir. Cependant, ce manque relatif de raffinement urbain ne l’avait pas empêchée de remarquer un ou deux petits détails qui reviendraient la chicoter, plus tard, en repensant à cet original. Détails au sujet, justement, de sa mise et de ses airs de métrosexuel attardé.
tu es épatante
ReplyDeleteMerci chère amie! <3
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