Douces vendanges
Quand, la dernière fois qu’elle a été vue, cette pétasse de Melanie Hall a déclaré aux autres fêtards qu’elle partait se mettre un petit quelque chose dans l’estomac, elle ne savait pas si bien dire. Il ne faut jamais prendre à la légère les souhaits qu’on fait comme ça tout haut. Je le sais, parce que moi-même, par exemple, je répète tout le temps qu’il n’y a rien de tel que quelqu’un qui vous tienne les pieds chauds. Hé bien, cette nuit-là, sur la promenade déserte, nos désirs respectifs ont chacun trouvé preneur. La vie est quand même bien faite. Il faut lui faire plus souvent confiance, à la vie, au lieu de se tracasser constamment comme des imbéciles. On se fait un sang d’encre au sujet de tout et de rien, alors que l’univers est là, qui assure vos arrières, qui raccorde les bouts de fils orphelins magiquement et tout naturellement dans une infaillible harmonie cosmique… C’est à ça que je pensais, un peu plus tard, en fermant les paupières de délice, sous le vieux pont. Melanie Hall. Quelle dinde. De ce genre qui prennent des égoportraits l’appareil en l’air pour une vue plongeante dans leur décolleté tout en produisant le plus dégénéré des duckfaces à plis, et qui en gratifient ensuite leurs réseaux vingt fois par jour. Matin, midi, soir… et même minuit, tiens, au beau milieu de la rue, dans l’obscurité, elle ne pouvait même pas attendre, elle était là à faire de faux bisous à son appareil, ne voyant plus que lui; bisous qu’elle aurait d’ailleurs sans doute ensuite libellés d’un stupide « Miam-miam! En chemin vers She Sells » (ou Gwendie’s Chips ou autre, peu importe), comme s’il s’agissait de quelque mission assez importante pour être sue, comme si le reste du monde n’attendait que ça, de connaître ses inintéressantes et passagères appétences charnelles. En intervenant, je ne l’ai pas seulement aidée à se sauver la face, j’ai aussi certainement soulagé à leur insu tout un tas d’Instagrammeurs en leur épargnant une pénible mise à jour supplémentaire des faits et gestes horaires de cette teigne insignifiante. Je l’ai arrêtée juste à temps et mis ses courbes généreuses à un service autrement plus profitable, dont mes orteils se souviendront longtemps. Hmm… et moi qui grelottais. Ah, oui, vraiment, la vie est bien faite. Cette Melanie, j’avais entendu dire qu’elle était « bonne ». Et je confirme. Mes pieds aussi. Eux qui se sont agréablement attiédis en baignant entre ses viscères tendres, que des années de complaisance avaient rendues délicieusement spongieuses et chaudes à souhait, et dont le dernier souffle fûmant mourait dans la nuit.
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* Le sommelier musical vous suggère :
Austin Wintory - A Ballet of Blades Pièce corsée, au rythme endiablé et fébrile mais sachant rester toujours un pas sous la surface, et dont les phrases cycliques donnent une rondeur en tête propice à l’anticipation.
Philipp Klein - Clockwork Pièce itérative et entêtante aux accents mécaniques, épicée de tension quasi brindezingue mais de bon goût, dans un décorum à peine tordu qui s’allie bien avec le thème à l’œuvre.
Lexys - "Lonely Waltz" Ajoute facilement jusqu’à 6 caudalies d’inquiétude à l’esprit en alliant une mélodie quelque peu déjantée dans son dépouillement à un mouvement presque cinématographique.

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